Après des années de baisses constantes d’effectifs, de réorganisations perpétuelles et l’absence de promotions et d’évolutions professionnelles pour bon nombre de ses salariés, Orange a convenu de signer un accord d’entreprise de reconnaissance des compétences et de qualifications. Il est censé permettre de valoriser leurs efforts d’adaptation et de peser la charge de travail selon des critères clairs, communs et a priori connus. De manière unilatérale, sans consultation des représentants du personnel et des organisations syndicales, la Direction a adossé à cet accord la révision de son référentiel « métier » en redéfinissant ces derniers sous l’angle des compétences et qualifications s’y rattachant. Elle a ramené leur nombre de 300 à une centaine, au nom d’une simplification qui rappelle l’argument utilisé pour sabrer le Code du travail.
Les autres raisons avancées par la Direction sont d’adapter ce référentiel pour répondre aux enjeux et aux nouveaux défis auxquels l’entreprise va faire face dans les prochaines années. Pour FO Com, il est avant tout question de poursuivre une politique d’emploi restrictive en demandant toujours plus à des salariés de moins en moins nombreux.

Les raisons avancées de cette nouvelle orientation
contrairePour en comprendre les raisons il faut tout d’abord se reporter au livre blanc d’Orange sur «Quel rôle pour la fonction RH en 2020-2025 » (cf. article ci-joint) dans lequel y est décrite la vision de l’organisation du travail afin de tenir compte DR du changement de nombreux paramètres. Tout d’abord, la pyramide des âges qui va entraîner de nombreux départs et qui va donc réduire les besoins en management de proximité; ainsi qu’un collectif de travail composé de groupes multigénérationnels aux attentes soi-disant différentes…
De plus, de nouveaux modes de travail sont mis en place, basés non plus sur le travail prescrit mais sur l’intelligence décentralisée et collective visant un fonctionnement dynamique et agile de l’entreprise. Et, une approche des résultats non plus basée sur la performance de l’organisation par ses processus et sa structure mais sur les compétences et l’adaptabilité de ses collaborateurs à remplir des missions.
Refonte du référentiel métier : l’art de faire plus avec moins !
Selon la direction d’Orange, la structure complexe et pyramidale de l’entreprise, ne permettrait plus de répondre à l’accélération des attentes d’une société consumériste et de citoyen client exigeant et impatient. Cela nécessiterait donc un fonctionnement beaucoup plus dynamique qui serait incompatible avec sa structure et son organisation actuelles. L’entreprise, prétextant ne plus pouvoir compter sur son organisation, a décidé de se reposer sur les femmes et les hommes qui la composent pour lui permettre de se transformer. Elle se désengage donc de ses responsabilités de gouvernance en transférant aux équipes la définition de l’organisation du travail, les modes de fonctionnement et leur apprentissage pour remplir leurs activités. Ce faisant, elle pourra alléger sa structure en réduisant les échelons hiérarchiques et les métiers qui avaient en charge de définir sa stratégie, de contrôler l’application de ses directives et d’accompagner les salariés.
L’autre raison d’ordre technologique concerne sa transformation numérique et l’avènement de l’intelligence artificielle qui va consister à automatiser les activités et les tâches et réduire d’autant ses besoins en ressources humaines.
Pourquoi un tel bouleversement ?
Pour répondre à son obligation de maintien dans l’emploi de ses salariés, l’entreprise va leur imposer la nécessité d’être agiles et flexibles, ce qui lui permettra de les déplacer au gré de ses besoins.
Pour cela, l’entreprise revoit la définition de ses besoins en ressources humaines non plus autour de la liste d’activités et de tâches à réaliser mais par les compétences que les salariés devront démontrer pour être autonomes et contribuer à sa transformation.
Une compétence étant définie par l’acquisition de connaissances, d’un savoir-faire et d’un savoir être, cela ouvre considérablement le champ des possibles dans la gestion de l’emploi et des efforts demandés aux salariés dont il est exigé flexibilité, mobilité et agilité sans ménagement.client-unique
Dans sa recherche d’un marché interne des emplois plus flexible, l’entreprise en a profité pour diminuer le nombre de métiers de son référentiel en gommant lorsque cela était possible la notion de domaine d’activité.
L’autonomie attendue des salariés va consister à leur transférer des fonctions initialement de la responsabilité de l’entreprise qui dédiait des ressources spécifiques à ces missions. Dès lors les personnels devront « être force de proposition dans l’amélioration continue » et/ou « de coopérer et savoir travailler en transverse », « participer activement au collectif et être en relais du management » pour assurer l’apprentissage de ses pairs, « être autonome pour apporter des solutions »…
Cette nouvelle conception de l’organisation du travail va en réalité permettre à l’entreprise de continuer à diminuer ses coûts de masse salariale puisque nombre d’activités des fonctions support, d’encadrement ou d’innovation seront dorénavant affectées à l’ensemble des salariés.
Manager : un rôle de composition ?
Cette transformation d’Orange va boule-verser profondément les missions et les activités des managers, souvent présentés comme les acteurs incontournables de la déclinaison de la stratégie de l’entreprise. Ainsi du rôle d’encadrant devant s’assurer de la bonne exécution opérationnelle de la stratégie et de l’évaluation de la performance de ses collaborateurs, la position du manager va devoir évoluer vers un rôle composite de responsable RH et de chef de projet.
En effet, celui-ci aura pour mission l’animation et le soutien opérationnel de ces équipes à faire face à des problématiques métiers, mais aussi de compétences et de savoir-faire qu’il devra gérer. Il s’agit ainsi d’une approche managériale qui va bouleverser les relations interpersonnelles entre les salariés et plus particulièrement entre managés et managers. La règle de la subordination devant dis-paraître au profit de la légitimité et de la reconnaissance de valeurs intrinsèques du manager qui permettront au collectif d’exister et d’avancer. Sa responsabilité va aussi évoluer puisqu’il devra être le garant de la cohésion et des résultats du collectif de son périmètre.
Là où il avait un rôle descendant (top/down) dans l’application des règles de fonctionnement et des processus, il devra, pour répondre aux besoins de son équipe pour une autonomie et performance locales, devenir un contributeur actif de leurs définitions et de leurs mises en œuvre vis-à-vis de l’organisation de l’entreprise (bottom/up), sous peine de voir sa légitimité ne pas être reconnue.
Des impacts et des risques pour tous les personnels
Au-delà de leur activité opérationnelle proprement dite, les salariés vont devoir prendre en charge les nouvelles missions liées à cette transformation de l’entreprise et à l’animation du collectif ce qui va augmenter de fait leur charge de travail. D’autre part, devenant autonomes et responsables de l’organisation et des modes de fonctionnement de leur travail, les risques d’échecs augmenteront leur charge mentale puisqu’ils n’auront à s’en prendre qu’à eux-mêmes.
Ils seront contraints à s’adapter à des activités indépendamment de leur appétence ou de leur capacité à les réaliser avec les conséquences qui en découleront sur l’évaluation de leur performance et leur évolution professionnelle.
De plus, les notions de savoir-faire et savoir être des compétences risquent d’instaurer des critères subjectifs, ce qui laisserait une large place à interprétation dans l’évaluation des performances des personnels.
FOCom pose des questions qui restent sans réponses…
Si ces nouvelles missions et activités du manager sont bien reprises dans le nouveau référentiel, les prérogatives et les moyens dont il disposera, ne sont pas définis !
Comment fera-t-il pour s’assurer d’un équilibre entre les ressources et activités, s’il n’a pas la capacité à revendiquer et disposer de moyens auto-nomes (effectifs, outils, formations, budgets) en adéquation avec les objectifs qui lui sont fixés ?
Quelles seront ses marges de manœuvre pour concilier performance de son équipe et respect des droits de ses collaborateurs (charge et conditions de travail, Qualité de Vie au Travail, « reconnaissance et évolutions professionnelles) dont il sera pleinement responsable ?
Dans un contexte d’élargissement de ses responsabilités, de ses missions et activités, sa propre charge de travail n’est pas non plus abordée. Est-ce que le périmètre des équipes sera revu à la baisse afin de tenir compte des nouvelles activités et missions qui lui sont demandées ?Comment, en cas d’échec, sera-t-il tenu responsable et/ou évalué en regard de la prise de risque et de la reconnaissance du droit à l’erreur de son équipe, de ses collaborateurs ?
FOCom ne voit pas comment les nouveaux objectifs affichés par la direction vont être atteints, alors qu’année après année, nous déplorons la dégradation des conditions de travail des personnels qui n’arrivent plus à remplir leurs missions du fait de l’accroissement constant de leur charge de travail.
Ce nouveau référentiel métier instaure le transfert des responsabilités de l’organisation et du fonctionnement de l’entreprise aux salariés, il est donc indispensable de s’assurer qu’ils auront les moyens en temps et en formation d’y parvenir. Il doit être confronté à la charge de travail des effectifs, aux capacités de formation et aux outils dont les salariés vont dis-poser afin de pouvoir remplir leurs nouvelles missions.

LE LIVRE BLANC RH, Une machine de guerre contre les droits

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En février 2016, la Direction d’Orange sort un livre blanc intitulé « Quel rôle pour la fonction Ressources Humaines en 2020-2025 ? ». Dès sa parution, FOCom critique vigoureusement ses préconisations qui reposent sur des présupposés extrêmement contestables. Ce document dévoile sans doute trop clairement les objectifs de la direction. Il disparaît assez vite du devant de la scène pour ne laisser place qu’à « la promesse Orange : être un employeur digital et humain » qui met à l’honneur la notion beaucoup plus présentable, bien que tout aussi discutable,
de « salarié unique ». En effet, si l’unicité des salariés signifie qu’ils seront traités à la tête du client cela pose problème. Si dire que le salarié est « unique » signifie qu’il faut supprimer les droits collectifs et les statuts qui font la force des salariés contre l’arbitraire, c’est évidemment inacceptable. Or le livre blanc RH est explicite à ce sujet. Au prétexte que les générations X et Y n’auraient pas les mêmes aspirations, il affirme que les RH « auront à développer une compréhension segmentée de ces différentes populations et à les traiter de manière différenciée ». Parmi ces traitements différenciés, on trouve la question de la rémunération: les jeunes appréciant la « rétribution non monétaire » par exemple sous forme de « mécanismes de récompenses ou « kudos » que les collaborateurs peuvent attribuer à leurs pairs ». Gageons que les salariés, jeunes inclus, ne s’en satisferont pas ! Au-delà de ces allégations presque risibles tellement elles sont caricaturales, pour bien comprendre où veut nous conduire la direction d’Orange, il faut se replacer dans le contexte de diminution drastique des coûts (6,5 milliards en 6 ans), dont l’essentiel pro-vient de la réduction de la masse salariale. La réalisation de ces «économies» est d’une brutalité inouïe en termes de «force au travail» et d’environnement: réorganisations permanentes, fusions des unités opérationnelles (UI, AD) et des directions («ancrage territorial»), diminution voire suppression des services transverses, insuffisance des moyens pour atteindre les objectifs notamment en termes de personnel mais aussi de reconnaissance. À cela se rajoutent l’optimisation immobilière impliquant déménagements et utilisation maximale des surfaces et l’organisation « agile » dont le but est surtout d’augmenter la productivité. Dans ce cadre très contraint, le rôle attribué aux RH est de faire tomber les « dernières rigidités », l’exemple venant des start-up. Ils ont à mettre en place « des organisations, formes d’emploi et conditions de travail plus flexibles ». Ils « auront pour mission de définir ce modèle de leadership « transformant et systémique » et d’en constituer la « colonne vertébrale » afin que les nouveaux leaders de l’organisation soient identifiés de manière adéquate pour s’affranchir des normes et des usages traditionnels et dominants ». On comprend qu’au détour d’une phrase le document doute de l’adhésion des RH et évoque leur possible résistance!
Au final, il est bien difficile pour la direction d’Orange de masquer que derrière sa « promesse digitale et humaine », son objectif d’être socialement responsable, le postulat de base demeure que le salarié est une charge pour l’entreprise et que l’essentiel c’est la baisse des coûts.

ORANGE… Une entreprise libérée. Vraiment ?

La nouvelle mode est à « l’entreprise libérée ». Comme souvent avec la novlangue, le vocable évoque quelque chose de positif. Il couvre une réalité qui n’a pas grand-chose à voir avec une quelconque liberté. Il sert surtout à justifier la mise en cause du système hiérarchique classique qui est remplacé par une structure plate où les cadres intermédiaires disparaissent et les collaborateurs s’auto-dirigent. Cette nouvelle façon d’organiser et de manager séduirait particulièrement les générations Y et Z, « rétifs à la hiérarchie et susceptibles de s’autogérer ». Comme si les « anciens » appréciaient les chefs tatillons et n’étaient pas capables d’autonomie! L’encadrement en général, et plus particulièrement le cadre intermédiaire, est stigmatisé, présenté comme un « petit chef » alors qu’y compris dans les entreprises dites traditionnelles, son rôle a largement évolué vers celui d’animateur, d’accompagnant, de coach aidant ses équipes à donner le meilleur d’elles-mêmes. Les mauvais esprits verront dans l’entre-prise dite libérée l’occasion de réduire les charges salariales en supprimant les postes de cadres intermédiaires.
En fait de liberté, les décisions essentielles en termes de stratégie d’entreprise, de moyens, d’emplois, de sous-traitance, restent évidemment du ressort des dirigeants (PDG, COMEX), de l’AG des actionnaires, du contexte réglementaire et concurrentiel. Il s’agit donc d’une liberté toute relative!