Quels que soient les pays, les entreprises, petites ou grandes, multinationales ou les secteurs d’activité, de nombreuses similitudes émergent et sont l’opportunité pour les syndicats de partages d’expériences, d’outils et de soutien réciproque. La dernière conférence mondiale a été l’occasion de développer des sujets qui impactent tous les salariés : la fatigue mentale.
Carles Catala (CCOO Espagne) a expliqué pourquoi les syndicats sont nécessaires dans les secteurs professionnels de son pays. En Espagne, les multinationales font souvent appel à des sous-traitants qui leur imposent des délais irréalistes. Cela oblige les travailleurs, en particulier dans les domaines des STIM (science, technologie, ingénierie et mathématique), à travailler de longues heures et le week-end. Il a appelé à une meilleure organisation et à une sensibilisation accrue aux avantages de la syndicalisation pour les cadres.
Parallèlement, Malini Subramaniam (UTES Singapour) a parlé de la manière dont son syndicat encourage le développement professionnel comme solution à de nombreux problèmes rencontrés pas les cadres et ingénieurs. Le soutien apporté par son syndicat à la redéfinition des tâches et à l’amélioration des compétences, souvent par l’intermédiaire de la formation, aide les travailleurs à relever les défis auxquels ils sont confrontés.
Ricardo Calderon, du FESUC (Chili), a indiqué aux participants le coût économique considérable de la santé mentale et du stress, sans parler du coût humain. Les cadres sont particulièrement exposés au « stress technologique » et à la fatigue mentale, ce qui a de graves répercussions sur la santé, comme le manque de sommeil, l’augmentation des cas de dépendance aux substances, l’hypertension artérielle et d’autres affections. Il développe le fruit de ses recherches et celles de Christophe Dejours.
Quelques éléments pour comprendre
- Tout d’abord la fatigue mentale est un mécanisme de défense qui permet au salarié de prendre de la distance face à la souffrance générée par l’organisation du travail.
- L’évaluation des performances individuelles, les résultats inatteignables et la surcharge conduisent à une souffrance silencieuse qui se concrétisent par la fatigue et l’épuisement professionnel.
- Le manque de reconnaissance contribue à un bilan émotionnel lourd.
- Le management actuellement pratiqué affaiblit la coopération et la solidarité entre collègues, limitant ainsi la capacité d’action des syndicats.
- Face à ce malaise, de nombreux travailleurs ont recours à des compensations pathogènes comme le tabac par exemple.
Les conséquences sur le cerveau
Les multitâches et l’exposition permanente aux stimuli numériques entraînent fatigue, difficultés de concentration et faible mémoire. L’utilisation d’appareils électroniques active un « système de reconnaissance » du cerveau libérant de la dopamine avec un effet addictif. La surexposition à l’information, l’urgence de répondre ou de « ne pas être au courant de tout » poussent ou catalysent les niveaux de cortisol (hormone du stress). Ces deux derniers éléments ont un effet sur le contrôle de soi et la mémoire. Le travail fragmenté (travail entrecoupé d’informations) rend la concentration soutenue difficile. Parallèlement, l’utilisation intensive de connexions numériques au détriment des contacts humains affecte les capacités de cognition sociale et diminue la capacité d’empathie.
Deux impacts socio-démographiques définis
Les premières victimes sont les femmes qui atteignent des niveaux conséquents de stress du fait du cumul travail et tâches domestiques. Cette double charge ainsi que le plafond de verre dans leur carrière augmentent le risque d’épuisement et de dépression.
Les autres victimes sont les jeunes travailleurs, en général les moins de 30 ans, victimes du stress liés à l’abus des technologies numériques. Enfin, les hommes de plus de 50 ans souffrent davantage d’épuisement professionnel en raison de l’intensification du travail et du manque de renouvellement des générations. Il est également important de noter chez les 30-50 ans la croissance d’un stress dû à la conciliation travail, l’éducation des enfants et la prise en charge de la famille.
Les propositions de FO Com pour enrayer ce phénomène
Ce n’est pas la première fois que FO Com dénonce les réorganisations de travail en cascade dans toutes les strates de l’entreprise. L’accumulation d’outils technologiques, souvent disproportionnés au besoin réel, les obligations de résultats ou des objectifs irréalistes constituent des éléments sérieux conduisant à une saturation mentale et des arrêts de travails courts mais révélateurs. La suppression à terme des CHSCT conduira à plus de détresse mentale car les CSSCT n’auront pas les mêmes moyens d’action et de prévention. Peut-on penser qu’un cadre est plus préservé qu’un agent ? Non, le fait d’être plus qualifié ne protège pas. La pression (entre le marteau et l’enclume) peut même parfois être plus forte face à une stratégie impalpable et face à des personnels en souffrance.
FO Com défend l’idée d’un véritable droit à la déconnexion comme elle l’a fait durant la négociation européenne sur le travail et le droit à la déconnexion. Alors que la négociation avait acté entre autres une compensation de la hausse de l’énergie et la prise en compte de l’inflation, le patronat européen (dont les français) a préféré le rétropédalage de peur que cela n’affecte leurs résultats !
Les entreprises annoncent vouloir mettre l’humain au cœur de leurs préoccupations mais qu’en est-il exactement ? Les réorganisations continuent et pressent les salariés, le dialogue social omniprésent ne fonctionne pas ou trop peu, les outils numériques noient les salariés, les salariés en détresse se manifestent de plus en plus et rien ne semble enrayer le disque.
Nous estimons à FO Com que la technologie doit conduire à un gain de temps libre pour tous. Cela doit se traduire par une réelle réduction du temps de travail, sans perte de salaire, et compensée par des remplois supplémentaires !. La négociation doit permettre la mise en œuvre du « droit à la déconnexion » pour tous au travers de la réglementation et la sensibilisation des travailleurs. Ces derniers doivent avoir le droit de préserver leur sphère privée et de concilier vie professionnelle et vie privée. La collecte de données et la surveillance, ainsi que l’intelligence artificielle et la gestion algorithmique qui en résultent, doivent être transparentes. Elles nécessitent d’être proportionnées et respecter le droit des travailleurs à la vie privée et à la sécurité au travail. Le développement du travail à distance a entraîné des risques accrus de solitude et de dépression. Lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des réorganisations (dont le télétravail), ces risques psychosociaux doivent être pris en considération. Il convient notamment de prêter une attention particulière aux conséquences à long terme pour les femmes et les jeunes. FO Com exige des cadres réglementaires solides, contraignants et exécutoires pour protéger le travail décent à l’ère numérique dans le but d’être au service des intérêts des travailleurs.