La Poste est une entreprise emblématique dans le paysage économique français qui a toujours vanté son modèle social et son rôle d’entreprise citoyenne ; une entreprise qui se veut proche des français avec son facteur toujours prêt à rendre service et son guichetier toujours souriant. Mais aujourd’hui, derrière ces images d’Épinal, la réalité est toute autre.
La Poste, une entreprise en profonde mutation
transformée en société anonyme en 2010, La Poste doit toujours assurer ses missions de service public, missions par définition « non rentables » ce qui est déjà une première difficulté dans la mesure où l’État se désengage de plus en plus alors qu’il devrait au contraire en assumer le coût. A cela, s’ajoutent l’évolution technologique, l’explosion de l’utilisation du numérique et donc les changements de mode de vie qui mettent à mal les activités historiques. La chute drastique des volumes de courrier, la baisse continue de la fréquentation des bureaux de poste entraînent de massives suppressions d’emplois, y compris dans les services « supports ». Enfin, la concurrence de plus en plus agressive oblige La Poste à une constante remise en question de ses schémas industriels. Toutes ces raisons la poussent aujourd’hui à faire évoluer ses missions, à réfléchir à la mise en place de nouvelles activités et à revoir son modèle social. L’enjeu, de taille, est principalement porté par les postiers eux-mêmes à qui on demande une « adaptation » permanente.
Entre 2007 et 2012, le courrier a globalement chuté de 20 % et la baisse s’est accentuée sur la période 2012-2018 en moyenne de 7 %. A l’inverse, le secteur du colis connait une augmentation d’environ 8 % par an. Cependant, cet « eldorado » attire de nombreux opérateurs, souvent low cost, dont Amazon, qui poussent La Poste à faire évoluer son organisation bien souvent au détriment du modèle social qu’elle prône. Ces évolutions ont entraîné de profonds changements pour les postiers de la distribution.
Quand transformation rime avec dégradation
Ainsi, depuis maintenant plusieurs années, les services connaissent d’incessantes réorganisations, des suppressions d’emplois et des ajustements à la charge qui, en plus d’engendrer des conditions de travail parfois déplorables, enlèvent tout sens au travail. Car le travail a un sens. Et plus particulièrement chez le facteur dont la mission va bien au-delà de la distribution du courrier. Jusqu’à il y a quelques années, sa tâche l’amenait au cours de sa tournée à privilégier le contact humain, l’échange, l’entraide… Or ce « temps social » n’existe plus dans les nouvelles organisations uniquement basées sur la productivité. Le facteur devient alors un distributeur, un automate qui met du papier dans une boîte ; un travail sans intérêt et de surcroît mal payé.
Cette perte de sens du travail est doublement ressentie chez les postiers fonctionnaires. Rentrés aux PTT, ils ont été formés au Service public avec des notions d’utilité, de service rendu et d’entraide gratuite loin des standards de rapidité, rentabilité, productivité, rendement qu’on leur impose aujourd’hui. Un schéma étranger à leur mode de fonctionnement social et surtout qui enlève tout l’intérêt du travail de postiers.
Le problème se pose autrement pour les salariés. Plus jeunes, la perception qu’ils ont de La Poste est différente. Arrivés dans l’entreprise sous statut privé, parfois « rôdés » aux périodes de chômage et de « galère sociale », ils sont plus réceptifs aux notions de concurrence et de rentabilité et perçoivent La Poste comme une entreprise dont la stabilité est encore d’actualité et où ils pourront peut-être « faire carrière ». Cependant, la question des salaires est prégnante et engendre un turn-over important voire des difficultés à recruter. Ceux qui acceptent la proposition d’embauche ont tendance à tout accepter au détriment de leurs conditions de travail et de sécurité, que ce soit des heures supplémentaires à outrance ou des primes dont la pérennité n’est pas garantie. Quant aux promotions, la complexité du système qui ne reconnait pas forcement les qualités professionnelles à leur juste valeur en décourage plus d’un.
Bien que ressenties de façon contraire, les difficultés sont les mêmes pour tous, que l’on soit salarié ou fonctionnaire et le constat commun est sans appel : salaires trop bas, charge de travail trop élevée, réorganisations incessantes exigeant une « adaptabilité » permanente, perte de sens du travail, pénibilité non prise en compte sont aujourd’hui le quotidien du facteur, du rouleur, de l’agent de cabine et de tous les personnels de la distribution.
Agents de la distri : véhiculer l’image de La Poste a un prix !
Les tournées de distribution ont toujours été contrôlées afin d’en voir l’évolution et ainsi adapter le temps à la charge et aux distances. Jusqu’alors, le vérificateur, chargé du contrôle, faisait la tournée avec le facteur et prenait ainsi la pleine mesure du travail à effectuer, détectait les difficultés ou relevait des possibilités d’économie et de productivité. Il avait une réelle vision du terrain. C’est vers le milieu des années 2000 que La Poste a transformé sa manière de calcul de charges en mettant en place une révision régulière des tournées de distribution purement comptable. La méthode de calcul ne reste alors qu’une pré-quantification du travail et ne prend évidemment pas en compte les spécificités de la tournée pesée, ni le profil du facteur et encore moins le rôle social du métier qui a besoin d’un peu de temps pour ses clients. Aucune prise en compte non plus de la pénibilité du métier. Car si la sacoche se fait plus légère, les distances restent et la météo n’est pas tous les jours clémente.
Cette méthode de rationalisation des coûts et de recherche constante de productivité à tout prix a eu pour conséquence soit la suppression, soit l’allongement d’un certain nombre de tournées. Ainsi, ce sont 15 000 tournées sur 70 000 qui ont disparu et pas moins de 25 000 emplois sur 100 000 sur une période d’environ dix ans. Sur le plan humain, le burn-out, les congés de maladie, les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont devenus monnaie courante.
Cela fait maintenant de nombreuses années que FO Com dénonce ces méthodes déconnectées de la réalité et demande une remise à plat des « normes et cadences » mettant en avant le fait que seul un pesage juste des charges, mais aussi la prise en compte de l’environnement et les spécificités des facteurs, sont à même de pouvoir concilier réalité économique avec son indispensable adaptation et maintien de bonnes conditions de travail. La seule façon de s’en sortir, c’est la considération du travail réel.
Or, lorsque La Poste parle de « normes et cadences », elle y oppose son système de calcul avec un principe d’homogénéisation sur le territoire, oubliant que les normes ne peuvent pas être les mêmes partout. Mêmes normes en ruralité qu’en zone urbaine ? Dans les zones montagneuses ou touristiques ? Quid de la distribution de lettre recommandée ou de colis dans un pavillon ou dans un appartement au 17ème étage ? Ainsi, les conditions spécifiques de distribution sont ignorées.
La Poste, si elle est tenue d’évoluer et de s’adapter, devrait s’attacher dans son processus à diminuer la pénibilité (notamment au regard d’une population de postiers vieillissante), à être soucieuse des conditions de travail de tous ses agents et à garder à l’esprit que le travail doit avoir un sens. Elle y gagnerait aussi en productivité et en coûts, dans le respect de tous.
Innover oui ! Progrès social, aussi !
Elle a d’autant intérêt à être soucieuse de ses agents qu’avec le déclin des activités postales historiques, la mise en place de nouveaux services demande des efforts de la part des postiers et de réelles motivations pour accepter ce qu’il faut bien appeler une conversion professionnelle. Sensés pallier avant tout la baisse des volumes du courrier, les nouveaux services sont regroupés en trois domaines : La « Silver économie » et la santé, la transition écologique et la transition dans les territoires. En voici quelques exemples : ARDOIZ (tablette installée à domicile pour les seniors), « Veiller sur mes parents » qui assure une veille régulière auprès des personnes âgées, RECYGO (relevage de papiers à recycler), PROXI VIGIE (visite et alerte) ou encore ETG (examen du code de la route).
Ces nouveaux services de proximité ont représenté environ 2 000 emplois (en 2018) avec un chiffre d’affaires de 252 millions d’euros contre 22 millions en 2015. Cette augmentation s’est principalement faite par des acquisitions d’entreprises. A horizon 2023, les nouveaux services devraient représenter 3 à 4 % du chiffre d’affaires du Groupe. Cependant, les créations d’emplois ne sont pas toujours au rendez-vous sauf dans le domaine du colis où, avec l’explosion du e-commerce, La Poste en a prévu potentiellement 3 à 4 fois plus d’ici 2023.
FO Com a toujours soutenu La Poste dans sa recherche de nouvelles activités, seules à même de sauvegarder l’emploi. Les postiers ont également bien conscience de l’enjeu. Mais eux comme nous, ne voulons pas accepter tout et à n’importe quel prix. Donner envie de s’investir, donner les moyens, les outils, les procédures, les formations ainsi qu’un temps alloué suffisant sont gages de développement pour l’entreprise et de pérennité de l’emploi pour les personnels. Dans ce domaine, FO Com revendique la prise en compte du temps réel dans les organisations comme pour les activités historiques, des salaires à la hausse et un commissionnement en rapport avec l’investissement demandé et ce, sans objectif notifié. Enfin, ces services doivent s’inscrire pleinement dans le rôle social de La Poste, gardant ainsi la notion de Service public mais aussi la crédibilité du facteur qui, rappelons le, est le 2ème personnage public préféré des français.
Managers : acteurs décisifs dans la vie des organisations
Les méthodes de management posent parfois problème dans la mesure où beaucoup de cadres ne sont pas issus du « sérail ». Ils ne connaissent ni La Poste, ni ses métiers bien particuliers, chargés d’habitudes et de codes. S’ajoutent la pression, les objectifs et autres « CAP » qui font que, même avec la meilleure volonté, il n’est pas possible de concilier exigences budgétaires et bien-être des facteurs. Bien souvent, les cadres n’encadrent plus, ils comptent.
Quant aux encadrants de proximité, leur position devient de plus en plus intenable ; comment expliquer le changement et l’adaptation, comment les faire accepter quand tout est vitesse et précipitation ? Comment assurer une proximité humaine avec ses agents quand les horaires sont à rallonge, les heures supplémentaires non payées, les formations adéquates inexistantes ? Sans compter les réunions, brief, débrief et rebrief qui sont chronophages et n’apportent pas forcément l’information adaptée aux missions demandées.
Pour FO Com, une redéfinition du statut et du rôle des cadres supérieurs et encadrants de proximité est essentielle. Le respect des horaires, la compensation des heures supplémentaires mais aussi le retour à de la considération qu’ils sont en droit d’attendre de leurs dirigeants sont au cœur des revendications portées par les représentants FO.
FO Com : des revendications à la hauteur des enjeux
Avec ces constats, entre situation économique tendue, révolution technologique et contraintes sociales, les solutions sont parfois difficiles à trouver. D’autant qu’il faut souligner des pressions extérieures dont La Poste se passerait bien. Les rapports réguliers de la Cour des Comptes considèrent que c’est davantage le « facteur humain » qui gène les évolutions que les défauts d’organisation. Dénonçant l’emploi stable et le conservatisme des facteurs comme principaux freins à la transformation de La Poste, la Cour milite, depuis longtemps, pour une accélération des réorganisations et fait vite endosser la responsabilité aux syndicats lors des échecs dans les négociations. Car pour ces sages, « un dialogue social actif et fructueux » demande des syndicats au garde-à-vous. Pour Force Ouvrière, des solutions existent dont certaines sont faciles à mettre en œuvre. La première des priorités est de retrouver un dialogue social loyal, honnête que chacun doit pratiquer dans le but d’avancer dans les meilleures conditions possibles. Force de propositions, FO Com revendique entre autres, des formations adaptées et de qualité dans le cadre des évolutions et réorganisations qui nécessitent d’être pensées bien en amont en prenant le temps suffisant qu’exige une adaptation particulière. Les recrutements doivent être soutenus avec, en parallèle des mesures d’âges pour les plus anciens. Le un dialogue social de qualité passant surtout par le respect des accords signés, gage de négociations fructueuses. Ceux-ci respecté, les postiers retrouveront la confiance envers leurs dirigeants, confiance qu’ils ont perdu, au fil des années au regard de décisions hasardeuses et de paroles non tenues.
Oui, avec des revendications à la hauteur des enjeux, les possibilités de construire La Poste de demain existent. Cependant, l’État doit prendre ses responsabilités en assurant le financement des missions de Service public dont elle a la charge, en l’occurrence le service universel du courrier. C’est une condition indispensable qui permettra de garder une grande entreprise publique au service des citoyens, garante de cohésion sociale et pilier incontournable de la République.
Pour FO Com, la transformation, l’évolution et l’adaptation de La Poste, si elles apparaissent comme des évidences pour assurer la pérennité économique de l’entreprise, nécessitent d’être faites avec la considération de tous les postiers. Leurs emplois et leurs conditions de travail ne doivent pas servir d’unique variable d’ajustement. Bien au contraire, il est impératif de replacer l’humain au cœur des organisations, construire et écrire l’avenir de La Poste ensemble et ainsi garder et consolider une poste solide, « d’un seul bloc », dans le cadre d’un Service public ambitieux. « Simplifier la vie » des usagers et des clients est essentiel, mais relever les défis de demain avec la confiance de tous les acteurs de l’entreprise est primordial.
Les « oubliés » du Courrier
Parmi les postiers des services de la distribution, environ 10 000 occupent aujourd’hui ce qu’on appelle des positions arrières : releveurs, collecteurs, agents cabine, agents cellule S3C.
Certaines de ces positions de travail permettent depuis toujours de « reclasser » des agents qui, pour raison d’inaptitudes ou de problèmes de santé, ne peuvent plus effectuer de tournées de distribution. Bien qu’indispensable au bon fonctionnement et garant d’une bonne qualité de service, ces postes de travail ne sont pas évalués à leur juste valeur et les agents ne peuvent prétendre à la reconnaissance qu’ils méritent. Pire, ils sont les « oubliés » des négociations et ainsi ne peuvent pas prétendre aux mêmes droits que leurs collègues de la distribution. Depuis toujours, FO Com est à leur côté et se bat pour qu’ils ne restent pas ces oubliés et pour qu’ils puissent bénéficier des avancées sociales. FO Com revendique notamment une vrai reconnaissance à travers le versement d’une prime à l’identique de la prime Facteur d’Avenir et un vrai parcours de carrière.
Oubliés par La Poste, reconnus et défendus par Force Ouvrière.
Jean-Philippe LACOUT
Secrétaire national FO Com au Courrier, facteur dans le département de La Loire (42) et ancien secrétaire départemental adjoint dans ce département.
Quid des conditions de travail
des facteurs ?
En 2017, FO a signé l’accord sur leur évolution au sein de la Branche Services Courrier Colis. C’était un véritable accord-cadre ! Hélas, la non-application de l’article 2 (bien associer les facteurs à la construction des organisations et à leur vie, dimensionner les organisations proportionnellement à l’évolution des volumes, enfin cadrer la sécabilité et accompagner la conduite du changement) dans certaines régions pose de réels problèmes et crée un malaise certain.
Pour Force Ouvrière, il est nécessaire voire impératif de bien réunir les factrices et les facteurs autour de la construction des organisations. Dans le cas contraire, les agents ne peuvent pas s’approprier ni l’organisation ni leur propre travail. Dans l’accord, la première restitution par un entretien est capitale : en effet, cette démarche d’écoute permet de cerner les éléments rendant compte du travail réel et ces derniers doivent être intégrer à l’organisation du travail.
Cet article 2 est fondamental pour d’autres raisons : il permet notamment d’éviter l’apparition de « tournées aberrantes ». De plus, il oblige La Poste à évaluer la charge de travail de chaque tournée pour éviter une productivité à outrance et ainsi améliorer l’organisation du travail. Ainsi, le chronométrage de la tournée permet de mesurer la charge de travail réelle. Pour moi, c’est fondamental afin d’éviter la dégradation des conditions de travail des facteurs et même pour favoriser leur amélioration.
Quelles sont les conséquences de cette détérioration des conditions de travail chez les facteurs ?
Cette détérioration entraîne l’émergence de risques psychosociaux, d’une perte de sens et d’identité. Par exemple, un facteur qui travaille depuis 20 ans à La Poste en zone rurale ne se reconnaît plus dans ce qu’il fait. Avant, le service dénommé « Veillez sur mes parents » était un service effectué gratuitement par le facteur et le lien social en était renforcé.
Désormais, facturer ce service et le faire payer à l’usager devient incompréhensible : le lien social se délite au profit du « business » et de la rentabilité. Cette évolution crée une perte de sens qui est visible chez les fonctionnaires notamment et qui modifie la culture de La Poste.
Pire, rendre service au client peut entraîner des sanctions. J’ai en tête l’exemple d’une grand-mère qui voulait faire envoyer une lettre par l’intermédiaire de son facteur. Celui-ci a rendu le service mais cela lui a valu une demande d’explication, une sanction disciplinaire en somme.
Ce contexte peut créer des tensions voire de la colère chez les agents pour qui l’aide aux usagers était, en son temps, devenu une habitude. Pour le facteur en question, ce fut un véritable crève-cœur !
Et, le rapport des assistants sociaux attestent de ce phénomène concernant le changement de culture d’entreprise. Le rapport à l’entreprise n’est plus le même, plus distancié.